La loi Climat et Résilience introduit un objectif national d’absence d’artificialisation nette des sols en 2050. Cette révolution urbaine et territoriale suscite de nombreuses interrogations quant aux conséquences sur l’évolution de nos villes. Entretien avec Nicolas Chabanne, architecte et président de l’agence Chabanne.

La notion de « Zéro Artificialisation Nette », est l’un des enjeux forts dans les années à venir. De quoi s’agit-il exactement ?

Il faut tout d’abord définir la notion d’artificialisation. C’est l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol. Aujourd’hui, 3,5 millions d’hectares sont artificialisés en France, et ces 10 dernières années, ce sont 276 000 d’hectares qui ont été consommés, soit l’équivalent du département du Rhône. L’artificialisation en France augmente 4 fois plus vite que la population, et ce rythme dépend majoritairement de l’habitat, de l’ordre de 50%, et des infrastructures routières, pour plus de 15%. Au regard de ces chiffres, la loi Climat et résilience, promulguée en août 2021, a fixé l’objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) qui nous oblige à atteindre deux objectifs.

Le premier, à horizon 2030, vise à réduire par deux l’artificialisation des sols. Pour cela, nous nous baserons sur une observation de l’artificialisation de ces 10 dernières années, lors desquelles le développement urbain a fortement artificialisé les sols, et nous les considèrerons comme années de références pour diviser par deux ce rythme, afin de pouvoir continuer un développement urbain jusqu’à 2030.

Le second objectif nous projette à 2050 pour arriver à zéro artificialisation nette. L’enjeu du ZAN est de proposer une compensation. C’est le solde de l’artificialisation et la renaturation des sols : à partir du moment où nous artificialisation des sols par de nouveaux projets, les mêmes surfaces de sols doivent être renaturées.

 

Quels sont les leviers d’action pour atteindre l’objectif fixé de Zéro artificialisation nette en 2050 ?

La notion de ZAN place le sol comme une ressource, et non plus un simple support d’activité. Il faut donc mettre en place une nouvelle cartographie pour s’interroger sur une planification respectueuse de la nature des sols. L’artificialisation des sols se fait soit par du bâti, soit par des voiries, parking ou trottoirs. Globalement, 50% des sols artificialisés sont du bâti, et 50% sont des voiries, consommatrices de foncier, et génératrices de CO2 qui plus est. Un recensement doit donc être fait sur les masses bâties qui sont spaciovores et les masses de voiries qui pourront peut-être demain être renaturées. Après ce recensement, il s’agit de voir comment il est possible de renaturer des terrains aujourd’hui artificialisés, par un remembrement, une densification, et donc une montée en vertical du bâti pour pouvoir offrir de la nature à certains sols.

 

A quoi ressemblera la ville de 2050 ?

D’ici 2050, il faudra redonner l’envie d’habiter les villes, les rendre attractives, avec une forme de densification nécessaire, mais une densification heureuse. Monter verticalement pour proposer à chaque logement des doubles orientations, des vues, des espaces extérieurs, de locaux et services partagés. Le bâtiment demain sera de plus en plus « serviciel ». Nous serons probablement sur une qualité du m² plus qu’une quantité du m² !

Cette ville sera donc plus verticale, mais bénéficiera de plus d’espaces verts, avec des projets mixtes qui vivront la journée, le soir, le week-end, pour les rentabiliser dans leur usage. Cette densité et verticalisation permettra de limiter l’étalement et la mobilité vers l’extérieur de la ville, et donc de réinterroger les voiries, en réduisant peut-être leur nombre et l’alternance actuelle de 5 bandes que l’on connait dans nos villes dans une seule rue : trottoir, ligne de véhicules garée, voies de circulation, ligne de véhicules garés, et à nouveau trottoir. Cela demandera en compensation d’avoir un peu plus de transport en commun lourds : tram, qui peut etre sur des espaces verts, ou des métros.

Malgré ces hypothèses, nous ne savons pas encore quelles technologies nouvelles seront à notre disposition en 2050, quelles évolutions de la démographie ou quels modes de vies seront au cœur de nos territoires, puisqu’ils peuvent changer rapidement à l’échelle d’une seule décennie, de façon considérable. Ce qui est certain donc, c’est qu’il nous faudra de la souplesse et de l’adaptation pour anticiper une ville hybride qui entre densité et étalement, consommation et production, mono-usage et multi-usage.

 

Aujourd’hui, quels sont les constats et défis qui nous attendent dans la réflexion autour de la ville de demain ?

Il faudra travailler sur cet exode des villes, accentué par le télétravail. Des études montrent que le télétravail a créé cet étalement, et donc augmenté la mobilité et les flux pendulaires sur nos voiries matin et soir, vers l’intérieur et l’extérieur des villes. En revanche, il faudra travailler à l’échelle du quartier pour y apporter les usages quotidiens : sport, santé, éducation, dans des quartiers qui seront en forte proximité.

On peut également parler des bâtiments qui devront être de plus en plus efficients, à la fois au niveau de leur bilan carbone, mais également avoir les bâtiments les moins couteux en exploitation : passif, voir à énergie positive, générateurs de leurs propres ressources.

Enfin, et sur un point essentiel, apporter ou conserver la nature en ville permettra de préserver la biodiversité qui, on le sait, nous apporte de nombreux bénéfices. Il faut savoir que 80% des espèces contribuent à notre vie sur terre. Dépollution de l’air, décarbonisation, filtration de l’eau, confort thermique par des îlots de fraicheurs, prévention des inondations par perméabilisation nécessaire des sols, pollinisation… la biodiversité et la nature en ville sont nécessaires à l’humain, ce sont des services écosystémiques essentiels qui ne doivent plus être considérés comme de l’ordre de l’ornement pour verdir la ville. L’OMS fixe d’ailleurs un ratio d’espaces verts de 12m² accessibles par habitant, alors que nos métropoles atteignent tout juste une moyenne à 4 ou 5m². C’est également un enjeu de bien-être et d’apaisement qui se joue. Il faut donc réensauvager la cité.

La biodiversité et la nature en ville sont nécessaires à l’humain, ce sont des services écosystémiques essentiels qui ne doivent plus être considérés comme de l’ordre de l’ornement pour verdir la ville. L’OMS fixe d’ailleurs un ratio d’espaces verts de 12m² accessibles par habitant, alors que nos métropoles atteignent tout juste une moyenne à 4 ou 5m².
Nicolas Chabanne
Architecte

Quelle stratégie adopter face à ces enjeux ?

Il est nécessaire que les services des intercommunalités effectuent sur leur territoire le diagnostic dont nous parlions précédemment. Il s’agit par exemple d’identifier les friches disponibles, ces espaces artificialisés et inoccupés qui pourraient servir à construire du logement ou à renaturer les parcelles. Une analyse doit également être faite sur les équipements spaciovores et leur usage actuel, utilisés à 100% ou non, superposables ou non. Je pense aux zones d’activités ou zones industrielles qui sont parfois moribondes, aux hôpitaux qui sont très étalés, aux supermarchés, aux campus… c’est un état des lieux à faire avec le privé, et des interrogations à poser avec les grands donneurs d’ordres. Il s’agit là de viviers énormes de surfaces en proximités ou au cœur des intercommunalités qu’il ne faut pas négliger.

 

Au sein de ces espaces à repenser, qu’en est-il de la notion d’usage ?

Les usages doivent évoluer. On s’aperçoit que la moyenne d’occupation d’un bâtiment s’élève à 30% ou 35%. Si on peut l’augmenter à 60% ou 70%, nous pourrons construire moins et utiliser davantage nos bâtiments. Ils seront plus rentables en termes d’énergie et de prix au m². Pour cela, il est nécessaire d’être dans la co-conception dès le départ, de type co-maîtrises d’ouvrage, ou avec un client qui imagine deux occupations qui peuvent être assez différentes. Il faut imaginer une occupation la journée et une occupation le soir et la nuit, ou encore une occupation la semaine versus une occupation le weekend. Il faut vraiment réinterroger l’acte de construire et l’envisager par le point d’entrée de l’usage, et non plus se dire « j’ai un besoin et je construis le bâtiment pour ce besoin-là ».

L’idéal, qui sera peut-être notre quotidien dans 10 ans, c’est ce que nous appelons à l’agence la « chronotopie ». Nous devons rendre accessible des lieux réservés à un usage à d’autres usagers, en concevant des ouvertures vers le quartier et en pensant la sécurité des lieux, scolaires par exemples, pour pouvoir ouvrir certaines parties le soir ou week-end pour des associations, par exemple. Plus largement, à l’échelle du quartier, il faut réfléchir les ilots avec des rez-de-chaussée actifs (santé, scolaire, sport), et avoir au-dessus des espaces de travail, coworking ou autre, et encore au-dessus un hôtel ou des logements, avec à la fois des bâtiments qui sont passifs, qui produiront de l’énergie et qui stockeront l’eau pour produire leur propre consommation.

L’enjeu demain est d’enlever les clivages d’un modèle avec un investisseur, un promoteur, une maitrise d’œuvre et un preneur qui récupèrera le bien pour l’occuper avec un usage unique bien défini. Ce silotage ne créé pas le cycle vertueux qui remet les usages au cœur du projet. Pour correspondre aux usages de demain, il faut que les maitrises d’ouvrage puissent penser le bâtiment différemment : flexible, polyvalent et multi-activités avant d’aller trouver les financements. Existera-t-il des groupements « ensembliers » qui imagineront des bâtiments serviciels, avec une vision d’ensemble ? A nous de faire en sorte que ce soit le cas, et de sensibiliser nos clients, quand nous le pouvons, à cette problématique.